Par Marie-Christine Tabet.
PORTRAIT – La productrice de Secret Story, nouvelle dirigeante d’Endemol Monde, a un profil de gestionnaire et non de star comme les Delarue, Arthur ou Fogiel. Cela n’empêche pas cette BCBG d’être une femme redoutée.
Le carré est sage et blond. La veste marine et chic. Les talons? Raisonnables. Virginie Calmels, la nouvelle prêtresse du PAF, affiche une élégance bourgeoise. Le retour, cette semaine, du sulfureux Secret Story sur TF1, les flambeurs de Money Drop sur la même chaîne, le lancement dans quelques semaines de Patron incognito sur M6, c’est elle. Depuis cinq ans, Virginie Calmels dirige Endemol France, soit 800 heures de divertissements télévisuels chocs par an. Début mai, cette jeune femme de 41ans a intégré le triumvirat qui pilote Endemol Monde, la maison mère de la télé-réalité. Belle promotion.
Pourtant, la jeune femme n’appartient pas à la famille des producteurs stars, les Delarue, Courbit, Arthur, Fogiel qui ont fondé un empire, plus ou moins solide, en crevant l’écran. Virginie Calmels est une « top manageuse ». Les « technos » ont-ils définitivement pris le pouvoir au détriment des saltimbanques? Certes, la multiplication des chaînes et les nouvelles technologies ont créé une véritable industrie de flux. Le talent et le flair ne suffisent plus. Endemol, qu’elle dirige aujourd’hui, a frôlé la panne. Après la folle croissance des années 2000, le groupe a accumulé une dette colossale. « C’est un secteur économique mature qui ne supporte plus l’amateurisme », reconnaît Emmanuel Chain, créateur de Capital et de Sept à huit, et cofondateur d’Éléphant et Cie. « Mais on ne peut y réussir sans un appétit pour le contenu. »
Virginie Calmels ne serait donc pas qu’un super-commissaire aux comptes? Après quelques minutes d’entretien, on comprend vite qu’elle ferait une excellente candidate pour Secret Story. Au jeu de « j’ai un secret que je ne vous délivrerai pas », Virginie Calmels est redoutable. Elle peut parler longuement de ses enfants qu’elle essaie d’embrasser tous les soirs avant le coucher, de la charte éthique qu’elle a mise en place pour les candidats de ses émissions – qui fait rire ses homologues européens –, des soirées paillettes qu’elle fuit. Pour seule mondanité, elle avoue la fréquentation assidue du Siècle, club sélect qui réunit intellectuels, politiques, industriels et journalistes en vue.
Son compagnon, François-David Cravenne, un spin doctor de la droite, a fait ses classes auprès de Brice Hortefeux. La piste de la parachutée sarkozyste tourne court. « Je croyais qu’elle était de gauche », raconte un de ses amis. « Je suis une libérale tendance sociale- démocrate, j’ai soutenu Madelin, mais je n’ai jamais été encartée, je ne cherche pas à influencer mon compagnon en me mêlant de ses affaires, glisse-t- elle. Ni lui des miennes d’ailleurs… »
Quinze jours avant la noce, elle annule tout
C’est dans sa vie qu’il faut chercher les clés de l’énigme. Après Sup de Co Toulouse et l’Insead, la jeune femme, née en 1971 à Talence (34), débute sa carrière chez Salustro, un des majors de l’audit. « Au cours de ma jeunesse, je n’ai rien choisi. J’étais très bonne élève alors j’ai suivi les filières d’excellence. » Ses missions d’audit l’ont conduite dans l’industrie, notamment dans une filiale de la Générale des eaux. À l’époque, elle ne sait pas encore que le glamour est au bout du tuyau.
En 1998, les patrons de Numericable, Christian Kozar et Denis Olivennes (président de Lagardère Active, propriétaire du JDD) la remarquent et lui proposent un poste de directeur financier. À peine arrivée, elle mène une première restructuration. Les deux hommes sont fiers de leur recrue. « Elle voit la terre avant les autres », confient-ils à leur entourage. Ils pensent à elle pour une opération de confiance. Christian Blanc, leur mentor et ancien président d’Air France, parti aux Pays-Bas créer une entreprise spécialisée dans les technologies satellitaires, a besoin d’un collaborateur fiable. Virginie s’ennuie à Versailles où elle vient de quitter son mari. Banco.
À Amsterdam, les deux déracinés se rapprochent jusqu’à former un couple. Le business batave s’arrête. Virginie Calmels entre à Canal +. En septembre 2001, après un séjour à New York, Blanc lui demande sa main. Il vient de voir les tours s’effondrer et a erré plusieurs jours dans Manhattan avant de pouvoir rentrer. « Je devais le rejoindre pour un dîner surprise, se souvient-elle, mais les attentats ont suspendu le cours de notre vie. » Leurs amis reçoivent un faire-part à la date du 22 mars 2002. Quinze jours avant la noce, elle annule tout et renvoie les présents. Ce mariage ne devait pas avoir lieu. Scénario romanesque en diable !
Sa recette, « c’est de ne pas mélanger les genres »
Virginie Calmels croit en Dieu, aux moments choisis, et au destin qui lui a déjà fait signe. À 15 ans, elle rentre du lycée, découvre son père inanimé et lui sauve la vie de justesse. Quatorze ans plus tard, elle tombe sur la correspondance échangée avec ses parents au cours de ses jeunes années. Émue, elle leur envoie un courrier pour les remercier de « l’avoir si bien aimée ». Ce sera le dernier. Son père, tant admiré, riche pied-noir rapatrié d’Algérie sans le sou, meurt deux jours plus tard. « C’est comme si on m’avait donné l’occasion de lui dire au revoir. »
Les tourments de sa vie sentimentale n’ont pas affecté sa carrière. À Canal +, les patrons se succèdent et Virginie Calmels gravit les échelons. En 2002, lorsque Bertrand Méheut prend les rênes du groupe, elle est nommée à la codirection de la chaîne. Mais les relations sont tendues, elle symbolise la vieille garde. « À 30 ans, j’avais déjà mené trois gros plans sociaux, j’avais besoin de respirer. »
Le destin, cette fois, se présente sous les traits du producteur vedette Stéphane Courbit qui lui propose de le rejoindre dans l’aventure Endemol. Avec Loft Story sur M6, Courbit a mis le feu au PAF. Virginie Calmels devient sa directrice générale. Une fois de plus, elle est le gestionnaire de l’équipe.
En 2007, elle remplace Courbit à la tête d’Endemol. La transition est difficile, il faut notamment rediscuter les contrats avec l’un des principaux clients, TF1. « C’est incontestablement une négociatrice hors pair », commente Emmanuel Chain. Elle peut sortir de sa réserve bon chic bon genre. Un matin, au petit déjeuner, elle balance au téléphone à un grand patron de l’audiovisuel qui mégotait le montant d’un contrat : « Si vous voulez prouver que je suis moins bien outillée que vous en dessous de la ceinture, je vous le confirme. » Effet garanti.
« Son secret, c’est de ne pas mélanger les genres, analyse Bernard Spitz, président de la Fédération française des sociétés d’assurances. Comme André Rousselet, elle respecte les contenus, en connaît l’importance, mais reste dans son rôle. » Ses proches prédisent que le prochain virage est proche. « Virginie n’aime pas suffisamment les émissions qu’elle produit pour rester longtemps, raconte un ami. Bien sûr, elle se diversifie et développe des fictions pour Canal et France 5, mais le coeur de métier d’Endemol reste trop éloigné du sien. » Elle ne confirme ni ne dément. « J’ai eu plusieurs vies très différentes les unes des autres, elles se sont enchaînées au hasard des rencontres. Un peu comme dans un film de Lelouch. » L’itinéraire de cette enfant gâtée de la télé n’est pas terminé.