Dans la foulée du départ d’Alain Juppé de la mairie de Bordeaux vers le Conseil constitutionnel, sa première adjointe Virginie Calmels a annoncé qu’elle quittait le conseil de Bordeaux. L’ancienne directrice d’Endemol France retourne dans le secteur privé.
[J-S. Ferjou] Vous quittez la politique. Éprouvez-vous une certaine fierté à ne pas avoir eu besoin qu’on vous recase dans une inspection générale quelconque, ou qu’on vous donne un mandat de complaisance ?
Virginie Calmels : Avant la politique, j’ai travaillé vingt ans en entreprise, et lorsque j’ai quitté mes responsabilités aux Républicains les chasseurs de tête ont été nombreux à m’appeler. Certains s’étonnent que je puisse retourner dans le privé, mais pour moi la politique n’est pas un métier, c’est une mission. En revanche, ça ne s’improvise pas, cela requiert de vraies compétences.
Pour ma part, je vivais mon engagement comme une « mission au service de » et il m’était évident que cette mission était à durée déterminée ; simplement, je n’en connaissais pas la durée.
On vote des lois pour s’assurer de la diversité du recrutement du personnel politique. Vous en étiez l’incarnation et finalement… cela ne marche pas ?
J’ai toujours cru qu’il fallait absolument renforcer les allers-retours entre le privé et le public. Une fois encore, si l’engagement citoyen est une mission, tout le monde peut à un moment de sa vie se dire: « je vais m’engager, mais après je retrouverai mon vrai métier. »
Il y a une profonde aspiration au changement dans ce pays. Les Gilets jaunes en sont l’incarnation: ils demandent à être entendus, respectés, à ne pas être méprisés, et avoir finalement une influence plus grande sur les décisions que prennent les politiques. Je pense que l’engagement au service du bien commun peut revêtir d’autres formes qu’un mandat électif.
Le paradoxe, et votre expérience personnelle en est presque la preuve, c’est qu’on peut certes faire venir des nouveaux, mais à l’arrivée ce sont les politiques de métier qui l’emportent… Vous me disiez que vous n’en vouliez à personne des difficultés que vous avez rencontré en politique, que vous n’en vouliez pas à ceux qui sont venus vous cherchez, mais que vous vous en vouliez à vous-même de ne pas avoir compris que les codes allaient être plus difficiles que ce que vous anticipiez…
Quand j’ai accepté d’adhérer aux Républicains en 2015, il m’a fallu gérer la contradiction entre la discipline que requiert un parti et ma nature profonde qui me pousse à réagir, à continuer de défendre mes convictions sans tomber dans la compromission.
Quelle est la bonne méthode ? Exprimer publiquement ses divergences de vue ou travailler à l’intérieur du parti pour l’amener vers les valeurs que vous défendez personnellement ?
C’est ce que j’ai essayé de faire. Personne n’a compris mon ralliement à Wauquiez. C’était pourtant simple : nous avions décidé, parce qu’il est venu me chercher, de faire l’alliance des libéraux et des conservateurs. Quand on dit ça, on comprend tout de suite : elle a rallié Wauquiez… Non, c’est lui qui est venu me chercher parce que justement je n’étais pas Wauquieziste. Il n’est pas nécessaire d’avoir fait l’Ecole de Guerre pour comprendre qu’il venait chercher le rassemblement. Je suis allé voir Alain Juppé, qui m’a donné son accord mais nous avions défini nos lignes rouges : pas de porosité avec le FN, un discours résolument pro-européen, pas du Sens Commun prédominant. Et c’est parce que je pensais que c’est de l’intérieur qu’il fallait porter son message que j’y suis allée.
Les étatistes, il y en a de gauche et de droite et la classe politique est pour l’essentiel étatiste. Et ce qui me déçoit, c’est que je ne vois aujourd’hui personne qui propose un logiciel non-étatiste.
Il faut pourtant une autre approche dans la façon de gérer l’Etat. Le modèle de l’Etat providence où on dépense toujours davantage et donc où il y a toujours plus d’impôts et de prélèvements est pour moi un mauvais modèle. Je me suis engagée en politique en me disant « Comment en sommes-nous arrivés à 2 200 milliards de dettes ? », quand vous venez du monde « privé » ça dépasse l’entendement. C’est incompréhensible, il n’y a pas un chef d’entreprise au monde qui pourrait comprendre ce raisonnement-là.
Le chef d’entreprise va quand même comprendre qu’on peut s’enrichir avec la dette, tant que les taux d’intérêt restent inférieurs au taux de croissance qu’on peut espérer. En revanche on ne s’endette pas pour faire des dépenses de fonctionnement.
Exact, et quand on s’endette on a un horizon de remboursement de sa dette. On a le droit de s’endetter, d’ailleurs il y a des modèles d’endettement « sain » où le coût n’est pas élevé, ce sont des modèles acceptables. Mais l’Etat a pris une autre voie. Celle de la fuite en avant où l’on sait d’ores et déjà que l’on sera incapable de rembourser les dettes que l’on contracte aujourd’hui.
Mais reconnaissons que les présidents de régions de droite (Laurent Wauquiez, Xavier Bertrand, Valérie Pécresse…) gèrent mieux les dépenses publiques que les présidents de régions de gauche. C’est important de le souligner car je pense que cette culture de la baisse des dépenses publiques est un élément très fort de la culture de la droite.
Néanmoins je suis orpheline de l’homme ou la femme politique qui pourrait apporter une nouvelle vision, qui pourrait créer de la richesse dans notre pays. Je ne veux pas moins de riches mais moins de pauvres, c’est ça le plus important. Je me suis engagée en politique pour les plus faibles, pour les plus pauvres. J’avais fait dix ans de caritatif en parallèle de mon travail dans le privé, le bien commun c’est de s’occuper de ceux qui vont, justement, le moins bien.
Vous êtes une libérale revendiquée, présidente de « DroiteLib » mais ça ne vous a pas empêché de publier une tribune dans laquelle vous expliquiez comprendre les Gilets Jaunes. Ce que les gens ont parfois du mal à comprendre car Emmanuel Macron, lui, est perçu comme libéral ET anti Gilets Jaunes…
Pour moi on ne peut pas se dire libéral et ne pas baisser d’un euro la dépense publique. Au lieu de dire que je suis libérale d’ailleurs, je préfère le terme « anti-étatiste ». Et malheureusement il y a beaucoup d’étatistes dans ceux qui nous gouvernent.
Quand on dit « libéral » en France, on donne l’impression de défendre le grand capital mais ça, c’est un dévoiement du libéralisme. Je pense qu’il faut avoir le courage de dire que l’Etat providence est en échec, neuf millions de gens vivent sous le seuil de pauvreté, six millions de chômeurs.
Quand je me suis engagée en politique je me suis dis que c’était avec un seul but : moins de pauvres et moins de chômeurs ! Mais pour parvenir à cet objectif, il faut qu’il y ait des gens qui réussissent et tirent le pays vers le haut, l’un n’est pas incompatible avec l’autre. C’est là où j’en veux beaucoup à certains politiques car trop souvent, j’y ai vu un certain renoncement, l’acceptation d’une forme d’impuissance.
Il est pourtant possible d’obtenir des résultats concrets et à Bordeaux, j’en ai eu : 30 000 emplois nets créés en quatre ans, j’ai installé Ubisoft, Hermès, Betclic et d’autres. Il n’y a pas de fatalité en matière d’économie et d’emploi.
Ces emplois ont-ils bénéficié aux habitants du coeur de la métropole, à ces parisiens venus s’installer à Bordeaux par exemple, ou à des gens qui étaient plus éloignés de l’emploi ?
D’abord je tiens à vous dire que ces entreprises n’ont bénéficié d’aucune aide, surtout pas financière. Je suis contre les aides directes aux entreprises. Il faut au contraire baisser leurs charges, les soulager des contraintes administratives. A Bordeaux, j’ai baissé la dépense publique dans mon périmètre de 30 %. J’ai aussi essayé de faire en sorte que ces créations d’emplois bénéficient à la France « périphérique »: par exemple nous avons installé Hermès dans la commune la plus éloignée de Bordeaux métropole, St Vincent de Paul. Les gens qui vont travailler chez Hermès habitent en dehors de la métropole pour la majorité. Le développement économique ne s’arrête pas aux frontières administratives d’une métropole, mais là encore l’Etat doit investir dans les infrastructures pour le permettre.
Si vous n’avez pas le câble, la fibre, si vous mettez plus d’une heure à avoir un appel téléphonique car vous êtes en zone blanche il ne faut pas s’étonner que la cinquième puissance mondiale crée des Gilets jaunes. On a été fou de laisser des territoires dépérir faute de puissance publique. On a des gens qui ont décidé qu’il fallait fermer l’hôpital ou l’école pour faire des économies. Mais c’est une hérésie, ça n’est pas là qu’il faut en faire ! Et c’est là-dessus qu’il faut changer de logiciel.
Ce court-termisme et cette absence de vision sont dévastateurs.
En vous fondant sur votre expérience au niveau local et national, vous parait-il réaliste de penser que l’on changera de logiciel en gardant le personnel politique actuel, au regard de sa sociologie et des modes de pensée qui y sont ancrés ?
Dissocions le local et le national. Mon expérience à Bordeaux, les résultats le prouvent, m’a montré qu’on peut faire des choses concrètes au niveau local. C’est pour cela que je suis résolument décentralisatrice.
A l’échelon national il est évident par contre qu’il faut changer de logiciel et qu’il faut sortir de cette technocratie. Pourquoi avais-je voté Nicolas Sarkozy ? Car il n’était pas technocrate et apportait une vision de l’action et du courage. Il faut un logiciel qui soit celui du pragmatisme mais aussi celui de l’humilité : l’Etat n’est pas omnipotent et ne peut pas légiférer sur tout.
Lorsque l’on parle de dépenses publiques, j’entends toujours « Vous voulez moins d’infirmières, de policiers… » évidemment que non. Je fais partie de ceux qui pensent qu’il faut plus de policiers, plus d’infirmière, plus d’agents pour tout ce qui relève du service public de terrain. En revanche, on peut se poser des questions sur les centaines de milliers de fonctionnaires qui sont dans des bureaux et qui, pour un certain nombre, se consacrent essentiellement à de la bureaucratie dont l’utilité sociale est limitée.
N’est-ce pas cela le drame de notre pays ? Que l’on soit un pays suradministré, que ramené au nombre d’habitants, la France ait le plus grand nombre de fonctionnaires ? On sait depuis longtemps que la qualité d’un service public ne se résume pas au nombre de personnes qui y travaillent.
Nous avons continué à augmenter les dépenses de fonctionnement alors qu’en parallèle, on a vu les services publics fondre. Dans les campagnes, des gens ont vu des services publics s’arrêter alors que les impôts eux continuaient d’augmenter.
C’est normal que cela créé une révolte car c’est une révolte de bons sens et c’est bien la preuve qu’il faut changer de logiciel. Pour moi ce changement ne viendra que d’une prise de conscience que l’on peut gérer l’argent public autrement. Le renoncement et le constat d’impuissance sont impossibles.
En étant élue, qu’avez-vous constaté autour de vous : de l’incompétence, de la lâcheté ou du fatalisme de la part de ceux qui justement ne baissaient pas la dépense publique ?
Le problème de la politique pour moi c’est que ce n’est même plus un problème idéologique. Ce qu’il faudrait faire on le sait, tout a déjà été écrit. Le véritable problème réside dans l’exécution. Et pour exécuter il faut des gens qui soient convaincus de ce qu’il faut faire. Il faut des hommes et des femmes qui sachent comment le faire. C’est donc un problème de compétence. Il s’agit de gérer des milliards d’euros. Est-ce qu’il ne faut pas à un moment se dire qu’il nous faut des personnes en capacité de le faire ?
La technostructure n’est-elle pas censée servir à cela justement ? On a besoin de gens aux compétences techniques pointues pour gérer une société complexe.
Mais n’a-t-on pas déjà trop préservé la technostructure ?
Par ailleurs Emmanuel Macron a voulu apporter un mode de gestion managérial comme s’il gérait une entreprise. Politiquement cela n’a pas donné de résultats très convaincants.
C’est de la communication. Là encore ne confondons pas exécution et discours politique.
Cela étant, faut-il gérer les collectivités ou les services publics comme des entreprises ? Bien sûr que non, pas sur tous les sujets car sinon l’on ne ferait pas de service public régalien, déficitaire par définition. Il ne faut pas rechercher la rentabilité à tout prix mais faire en sorte que l’argent public bénéficie à un maximum de personnes.
C’est pour cela que je suis contre les aides directes aux entreprises car je considère que quel que soit le nombre d’entreprises aidées, c’est forcément trop peu par rapport au nombre global d’entrepreneurs. Alors que lorsqu’on construit une route on sait que tout le monde va pouvoir y circuler. Pour moi la bonne dépense publique, là où elle est saine, c’est l’investissement qui profite à tous et qui est beaucoup plus efficace que les dépenses qui se consacrent à des frais de fonctionnement. Même s’il en faut évidemment. On me dit souvent : il faut faire fonctionner nos écoles, C’est vrai bien sûr. En revanche pour l’entretien d’un espace vert d’une école, faut-il nécessairement être fonctionnaire ? Est-ce que cette mission ne serait pas assurée aussi bien voire mieux par une entreprise de gestion des espaces verts ?
Ce serait quand même payé par l’argent public…
Oui mais pas forcément au même prix. Parce que le vrai problème des marchés publics, c’est qu’il y a souvent un problème de coût. J’ai découvert en étant élue que dans bien des cas, les marchés publics aboutissent à des coûts bien plus élevés que si l’on faisait le même appel d’offres dans un cadre privé. C’est pour ça que le sujet de la baisse de la dépense publique est un sujet à plusieurs entrées.
Pourquoi ces problèmes de coûts ? Il y a de la corruption, du copinage, de l’inefficacité ?
Essentiellement en raison de la lourdeur administrative. La bureaucratie n’est pas habituée à négocier. Dans le privé, vous négociez des marchés, dans le public il y a surtout des comparatifs. Vous avez donc des marchés publics dont le coût final est supérieur de 20 à 30% à ce qu’on paierait dans le privé pour la même prestation. Et ça n’est pas seulement parce que les élus ou les fonctionnaires négocient mal mais parce que du point de vue des entreprises prestataires, travailler avec le secteur public représente un coût supérieur en raison de la lourdeur de la bureaucratie. Il y a tellement de choses pénibles à gérer que ça a un coût.
Vous parliez d’anti-étatisme, vous disiez que ce qu’il y a à faire quand on est élu, tout le monde le sait mais que l’on ne sait pas l’exécuter…
Tout le monde ne partage pas le diagnostic, malheureusement, mais même si certains le partagent le sujet demeure dans l’exécution.
Mais dans le monde d’aujourd’hui, savons-nous réellement ce qu’il y a à faire ? Face aux GAFAM, aux questions de souveraineté numérique ou d’intelligence artificielle, n’avons-nous pas besoin de plus d’Etat plutôt que d’Etats qui réduisent leurs périmètres de mission ? Avons-nous suffisamment pensé les enjeux du monde actuel, un monde où il y a par exemple de plus en plus de concurrence déloyale de la part de puissances émergentes ?
C’est une très bonne question. Moi je fais le choix de revenir dans le privé pour toutes les raisons qu’on a évoqué mais aussi parce que je constate une forme d’impuissance. La France est bloquée sur le même logiciel d’action et de pensée politiques. Sauf que ça produit des résultats de pire en pire. Ce logiciel qui amène toujours plus de dépenses, plus d’impôts est arrivé au maximum de l’acceptable, la preuve : les Gilets jaunes. 75% des Français soutenaient les Gilets jaunes parce qu’ils voulaient stopper cette fuite en avant. C’est le premier constat d’impuissance. Si l’on ne change pas le logiciel, les mêmes causes continueront à produire les mêmes effets.
Deuxième point, on est en train de passer totalement à côté des défis du XXIème siècle. C’est terrifiant. Le monde économique le perçoit parce qu’il est ouvert et connecté au monde entier en permanence par simple obligation de survie. Mais on dirait que le monde politique vit en vase-clos sans réellement prendre en compte ces défis qui sont devant nous … Qu’on ne comprenne pas ce qui est en train de se passer en Asie au niveau de l’intelligence artificielle ou du virage numérique qu’ils ont pris il y a longtemps nous condamne à devenir des nains de jardin voire à disparaitre.
Ces défis sont totalement absents, non seulement du discours politique mais des décisions structurantes politiques. Le réflexe est toujours : comment va-t-on taxer ? C’est comme ça que l’on raisonne. Alors qu’en fait ne devrait-on pas dire : « comment est-ce qu’on adapte notre système scolaire à ces nouveaux défis »? Est-ce qu’aujourd’hui on ne manque pas dans toutes nos écoles, pour tous nos enfants, de l’enseignement de ce qui va leur être utile demain ?
En fait on creuse un décalage et le peuple français le ressent bien. Il a cette intuition qu’on est en train de passer à côté de certains sujets majeurs tout en négligeant son quotidien. Beaucoup voient bien qu’ils ne sont pas formés à ce monde-là. Dans un territoire isolé de France, ils sont très loin de ça et se disent : nous on va disparaitre ! C’est un instinct de survie, c’est un instinct de lutte contre le déclassement. Ils se disent « nous ça va mais nos enfants ne seront pas prêts ou adaptés au monde de demain et les politiques ne font rien pour y remédier ».
Les Républicains, Laurent Wauquiez notamment, ont posé le diagnostic-là du sentiment d’inquiétude et de déclassement des territoires ruraux, comment se fait-il qu’ils n’aient pas réussi à gagner la confiance des Gilets jaunes ? C’est en tout cas ce qu’on voit dans les enquêtes d’opinion.
Je pense que les Gilets jaunes se disent que tous ceux qui ont été en position d’exercer le pouvoir à un moment ou à un autre sont coresponsables. Je pense que c’est pour ça qu’il y a une crise de la défiance profonde des partis. Parce que les partis ne se sont pas régénérés avec des gens nouveaux qui viennent d’ailleurs. C’est pour ça que les discours politiques ne sont pas crédibles. La réponse immédiate c’est : pourquoi ne l’avez-vous pas fait quand vous étiez aux affaires ?
Mais le sujet aujourd’hui de mon point de vue n’est pas de jeter le discrédit sur tous les politiques. Je crois à la complémentarité. Je pense qu’il faut de tout pour faire un monde: des énarques et d’autres. Il faut des politiques et des gens issus d’autres métiers, il faut cette complémentarité. Mais il faut non seulement proposer une vraie feuille de route, mais surtout une méthode d’exécution. Le comment importe autant que le quoi.
Il y a des méthodes qui marchent dans le privé parce qu’elles prennent en considération l’évolution des individus. Dans la fonction publique, on dirait qu’on oublie trop souvent les ressorts des hommes et des femmes, l’âme humaine. Les gens ont besoin de reconnaissance. Tant qu’on ne la donnera pas à des milliers de gens, ils se diront que ce qu’ils font au quotidien n’a pas de sens. Combien de fonctionnaires pensent que ce qu’ils font n’est pas réellement ce qui serait utile au pays demain ? Ce sont eux les premiers à même de dénoncer le système pour le réformer. On voit que toute cette bureaucratie pourrait être transformée, même de l’intérieur en des choses productives et surtout cesser le nivellement par le bas si cher à la gauche.
Moi ce que je voudrais c’est moins de fonctionnaires mieux payés. Il faut beaucoup mieux payer nos enseignants. C’est la honte de la France de voir que nos enseignants aujourd’hui gagnent aussi peu alors que c’est là que se joue une partie de l’avenir collectif du pays. Les syndicats ont peut-être leur responsabilité là-dedans. Au lieu de revendiquer des augmentations, ils ont revendiqué des embauches et c’est là le cœur du problème. Ne vaudrait-il pas mieux moins de fonctionnaires mais avec de meilleures perspectives d’évolutions, avec des promotions, avec des « carottes » ? Or notre système nivelle par le bas. Celui qui est en absentéisme notoire gagne autant que celui qui bosse comme un fou en dépassant ses horaires.
Sur un sujet plus contemporain, que proposer aux perdants de la mondialisation ? La mondialisation a profité à certains, mais les classes moyennes et les emplois peu qualifiés ont été touchés négativement. Or le socle d’une démocratie, ce sont les classes moyennes. Comment sauver ces gens, et comment sauver, quelque part, la démocratie ?
Combien de chefs d’entreprises aujourd’hui disent qu’ils veulent embaucher mais n’y arrivent pas ? L’objectif c’est de se faire rencontrer l’offre et la demande, ça peut être compliqué, mais si les gens n’ont pas les qualifications il y aura deux façons de faire. D’un côté il va falloir augmenter la formation et flécher les évolutions, c’est-à-dire prendre des gens et leur dire « écoutez votre métier de demain n’est pas le même qu’hier », tout en les accompagnant dans un processus de formation tout au long de la vie qui va les préparer au changement. Cela prendra du temps, et on verra les résultats in fine, mais de l’autre, ça ne peut pas être la seule réponse ! Tout le monde ne peut pas rentrer dans ce schéma idéal.
Tout le monde n’est pas fait pour être assis sur le siège conducteur de sa vie professionnelle comme le revendique la ministre du travail Muriel Penicaud ?
Oui exactement ! Je reste convaincue une fois encore, et c’est la richesse de notre pays, que nous ne sommes pas dans une logique de caste. Ne tombons pas dans le mépris de classe. Nous sommes un tout, avec des compétences très différentes, des aspirations très différentes, il faut cesser de vouloir faire rentrer tout le monde dans le même moule. Ça ne marche pas ! Tout le monde n’a pas le même pied pour rentrer dans la même chaussure, il y a plein de métiers aujourd’hui qui sont en train de disparaître. Certains pourraient retrouver des débouchés avec les métiers manuels par exemple, alors que nous les avons tellement dévalorisés en France. Au-delà des mesures en faveur de l’apprentissage, il faudrait aussi faire évoluer les mentalités, qu’on puisse dire que chaudronnier est un beau métier, que ferronnier d’art c’est un beau métier, sinon nous n’en aurons plus ! Si vous voulez une rampe d’escalier, vous attendez deux ans tellement l’artisan est surchargé de commandes. On a stigmatisé des professions qui sont économiquement beaucoup plus viables que d’autres. Il n’y a pas de sots métiers et il faut que les gens soient d’abord heureux dans leur travail ! En la matière, la fonction publique n’est pas non plus un exemple. Le métier d’instituteur par exemple est magnifique, mais a été dévalorisé, faute de respect et de salaire décent. On a besoin de revenir à des fondamentaux de bon sens, qui prennent en considération toute la France dans sa diversité.
Il n’y a pas que les élus ou les fonctionnaires qui ont produit le monde actuel, ses dysfonctionnements et ses excès. Un certain capitalisme financier n’en est-il pas responsable aussi ? Les Gilets Jaunes ne contestent pas forcément l’entreprise en soi, mais la manière dont fonctionne le capitalisme à l’heure actuelle…
C’est pour cela que je fais partie de ces patrons qui pensent qu’il faut un capitalisme responsable ! On est les premiers à devoir montrer l’exemple, à mon niveau j’ai mis en place des plans d’actions gratuits, je crois à l’actionnariat des salariés, cette belle idée du Général de Gaulle. Ce qui manque ce sont les projets collectifs, il faudrait un élan teinté d’idéalisme, que l’on se dise « on va sortir du tunnel tous ensemble » avec des perspectives à la clé. Il faut un projet fédérateur, c’est la clé du bon fonctionnement d’une entreprise. C’est exactement l’inverse que nous propose l’État, le discours c’est « il y a les premiers de cordée et les autres qui ne sont rien », quand vous êtes dans la seconde catégorie vous êtes obligés de vous révolter ! Quelque part c’est une provocation de dire à certains qu’ils ne sont rien !
Vous ne seriez pas social-libérale, mais libérale-social en quelque sorte ?
Oui absolument ! Mais aujourd’hui sur la scène politique actuelle je me sens orpheline. Je suis aussi comme beaucoup en demande d’autorité, il faut du courage dans l’action ! La politique ne devrait être réservée qu’aux hommes (ou femmes) courageux et on a le sentiment que depuis des années on a parfois manqué de courage pour dire la vérité aux français et pour agir !
Le président incarne une sorte d’autorité et un certain courage…
Ce que je salue, même si je ne suis pas totalement d’accord pour l’autorité. Pour moi l’autoritarisme n’est pas l’autorité, l’affaire Villiers n’était pas une preuve d’autorité.
Nous avons été laxistes et nous le sommes toujours ! Trop de laxisme accumulé fait que l’on est de nos jours en mal d’autorité. Je pense qu’une personnalité comme Nicolas Sarkozy redonnerait un souffle par l’autorité qu’il dégage. On a trop souvent l’impression d’être à la petite semaine, le drame d’Emmanuel Macron c’est qu’il est arrivé très haut très vite, mais sans préparation. Son projet de campagne faisait dix pages, des discours très déconnectés de la réalité (Penser Printemps…), même s’il avait donné un certain espoir. Il faut que l’espoir engrangé se transforme en actions concrètes !
J’ai soutenu le projet de François Fillon car pour moi c’était celui qui était le plus réaliste, même s’il a pu choquer certains dans la façon dont il a été présenté. Évidemment on s’est arcbouté sur les fameux emplois publics qu’il voulait supprimer, ça été mal présenté, mais c’était courageux d’oser arrêter de recruter à des postes qui ne profitent pas au bien public. La bureaucratie ne profite pas au bien public, comme disait Pompidou « Arrêtez d’emmerder les français ! »
Ne pensez-vous pas que si la droite n’a pas soutenu Fillon ce n’est pas seulement à cause des affaires, mais aussi parce que la droite d’en haut n’est fondamentalement pas très libérale…
Mais comme je vous dis, nous avons besoin d’un autre logiciel que l’étatisme. Le projet présidentiel de la droite avait été co-construit avec la société civile à l’écoute de ses aspirations, et il se voulait anti-technocratique mais le problème fut, entre autre, la caricature du projet politique dont il a été victime.
Mais n’a pas-t-il été caricaturé d’abord par son propre parti ?
C’est du passé ! Le but n’est pas de faire peur aux électeurs en détruisant les adversaires mais de rassurer la France sur le fait qu’il y a une sortie possible, sinon ce sera le chaos ! Les gens sont en mal d’autorité car ils veulent quelqu’un qui les rassurent mais pour le moment si Emmanuel Macron ne rassure pas c’est qu’on ne sait toujours pas où il veut aller. Quel est son système de pensée qui va faire obtenir des résultats ? Un coup à droite, un coup à gauche, sur le régalien son silence assourdissant dérange.
Parce que c’est là que l’on attend l’Etat, il devrait être irréprochable sur les questions de sécurité, quand vous voyez que la justice représente seulement 4 % du budget il y a un problème. La justice est en manque de moyens ! Le système qui prévaut en France depuis des années c’est je prends un peu à l’un pour donner à l’autre, en faisant deux mécontents. On parle de redistribution maximale, mais on oublie de dire que l’on est dans la ponction maximale !
Moi je suis pour l’ascenseur social, c’est le modèle auquel j’aspire. Il faut qu’un fils d’ouvrier, d’agriculteur, puisse réussir aussi bien qu’un fils de cadre supérieur né dans un bon arrondissement parisien. Sur ce sujet la France est totalement en panne, à cause de l’égalitarisme et du nivellement par le bas, on a fait un système qui a creusé les inégalités. J’en veux beaucoup à la gauche qui a tenté de supprimer les bourses au mérite. Et ce n’est pas parce qu’on est de droite que l’on ne s’occupe pas des classes populaires ! Au contraire nous voulons tirer tout le monde vers le haut, quand je vois la détresse de mères célibataires qui gagnent une misère tout en ayant des enfants à charge. Regardons le coût de la vie, du logement, du chauffage, personne digne de ce nom peut die que l’on vit « bien » avec 1200 euros par mois. Si un politique l’affirme, c’est du cynisme ! Et cela me choque profondément.
Est-ce que vous diriez qu’il y a trop de cynisme à gauche et pas assez de courage à droite ?
Concernant la droite, je pense qu’à certains moments, elle aurait dû assumer mieux ses fondements, c’est-à-dire défendre ceux qui créent de la valeur, de la richesse, les entrepreneurs. Le « travailler plus pour gagner plus » était génial mais on s’en est éloigné.
C’est ce qu’Emmanuel Macron essaye de faire, du moins dans le message…
Pas tout à fait, quand on supprime la moitié de l’ISF, je ne peux être que d’accord puisque je suis pour la suppression totale de l’ISF, mais dans le même temps on n’est pas obligé d’augmenter la CSG pour les retraités, et de faire les 5 euros d’APL. Cela s’appelle un suicide politique, mais au-delà ça apparaît totalement injuste. Pourquoi supprimer l’ISF ? Car cette action engendrerait plus de richesses que l’ISF lui-même, j’en suis convaincue. Mais à côté, il faut reconnaître que certaines de nos aides sociales sont mal redistribuées. Quand le gouvernement augmente de 8 % la pension pour les demandeurs d’asile, alors qu’on sait tous que 90 % d’entre eux seront déboutés, alors que la personne âgée qui a cotisé toute sa vie ne s’en sort pas et que les pensions de retraite ne sont pas réindexées, c’est une injustice qui est tellement évidente qu’elle doit être corrigée. Et ça me révolte ! On continue à donner des aides sociales à des gens qui fraudent. On nous dit qu’il n’y a plus de place dans les prisons, commençons déjà par renvoyer les 15 % d’étrangers qui n’ont rien à faire dans les prisons françaises. Bref, ne faudrait-il pas tout simplement retrouver un peu de bon sens ?
Ça va vous manquer la politique quand on vous entend passionnée comme cela…?
Le débat d’idées continuera mais je reste convaincue que l’on peut être utile à son pays autrement que dans un mandat électif. Finalement n’ai-je pas été aussi utile à mon pays quand j’ai créé des emplois ? Quand j’investissais dans les PME ? Quand je donnais à des associations ? Quand je faisais du caritatif pendant dix ans avec l’association « Arès » ? Plutôt qu’a être dans des joutes sur des plateaux télés ? Dans un parti politique ? À Bordeaux j’ai fait des choses concrètes, et demain je serai j’espère tout aussi utile, en créant à nouveau des emplois.
Vous allez vous dire quoi le premier matin où vous arriverez à votre nouveau bureau ?
J’adore les nouvelles aventures, donc je suis à la fois excitée et heureuse de retrouver un monde nettement plus bienveillant.